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Expertise, psychanalyse et justice

Publié le par Bertrand Ricque

Dans chaque conflit inter-personnel, dans chaque délit, dans chaque crime, il y a un enchaînement de causes et d'effets qui mènent à l'effet principal et à ses effets secondaires. Afin de se faire une opinion sur ce type de situation, il me semble nécessaire de combiner 3 approches : celles de l'expert, du psychanalyste et de l'arbitre.
L'expert cherche :
* à établir la liste des faits (causes et/ou effets) à retenir comme étant en relation avec l'effet principal ,
* à définir l'enchaînement le plus probable des causes et effets retenus,
* à faire le tri entre les effets secondaires et l'effet principal (qui est toujours unique).
Le psychanalyste cherche à établir le contexte qui explique pourquoi chaque cause a initié un effet plutôt qu'un autre.
L'arbitre, au vu des éléments ci-dessus :
* détermine qui est la personne qui a exécuté une cause, sur la base d'une preuve,
* définit si de ce fait elle est responsable de l'effet principal et des effets secondaires sur la base de la loi ou du bon sens,
* établit la compensation nécessaire pour réparer les effets principal et secondaires.
Toute la difficulté réside dans la détermination des causes initiales (il y en a rarement une seule) et de l'effet principal. Diverses méthodes scientifiques sont connues des philosophes et des ingénieurs et sont réunies dans la discipline de l'analyse causale, particulièrement développée dans le domaine des accidents d'avions et des catastrophes industrielles. La jurisprudence de la responsabilité est également assez riche sur le problème de la limitation des enchaînements cause-conséquence.
Une fois que l'on s'est mis d'accord sur la liste des faits et l'effet principal, il reste souvent possible de démontrer des enchaînements causes-conséquences différents et parallèles reliant le même ensemble de causes au même ensemble de conséquences, mais induisant des répartitions des responsabilités différentes. Ceci s'est vu aussi bien dans l'affaire du sang contaminé, dans l'accident du tunnel du Mont-Blanc, dans la collision aérienne du lac de Constance que dans le plus banal des conflits familiaux.
L'élément qui permet d'arbitrer est alors fréquemment la notion de compétence et la notion de droit. Quand on est compétent, on est conscient des conséquences potentielles de ses actes et on reste donc responsable de leurs conséquences. Quand on va contre le droit, on assume également ce fait. Il en résulte que l'on peut donc se retrouver responsable mais pas puni, mais que l'on n'en reste pas moins pleinement responsable.
Evidemment c'est une situation inconfortable, surtout quand un des effets secondaires s'est retourné contre soi de manière initialement imprévue.
Dans l'entreprise, nous avons alors une tactique, dont on ne sait si elle est inspirée de la vie familiale ou des pratiques en vigueur dans les dictatures (revoir Costa-Gavras) qui consiste à exploiter la diversité des enchaînements cause-effets d'une part, et l'écart, parfois ténu, entre l'effet principal et un effet secondaire, pour retourner la charge de la responsabilité. Comparer l'effet principal avec un ou plusieurs effets secondaires sur des bases non-rationnelles (affectives, émotionnelles) ou sur des bases rationnelles mais non corrélées est un puissant levier dans ce type de manoeuvre.
Bien évidemment dans les familles, c'est plus simple car le poids des déterminants affectifs est dominant.
Je vois actuellement deux illustrations de ces comportements dans mon entourage.
* Une amie a qui on reproche un effet secondaire conséquence d'un effet principal recherché. Vous avez atteint vos objectifs mais cela eu une conséquence indésirée qui était pourtant mécaniquement inévitable dans un schéma de causalité donné. Dans ce cas on compare des effets avec des référentiels non-corrélés.
* Une famille dans laquelle l'arroseur arrosé ajoute une nouvelle cause en amont pour :
     - sans remettre en question le schéma de causalité (assez linéaire et dual comme dans tout conflit), basculer la responsabilité sur la partie adverse,
      - présenter un des effets secondaires comme principal au titre du dommage, ce qui n'a plus rien à voir avec le schéma de causalité,
      - en s'appuyant sur ce renversement et en ajoutant le contexte affectif, faire oublier la notion de compétence qui, in fine, replace chaque individu en face de ses actes et le laisse responsable de l'effet principal.
Ces deux exemples sont intéressants car ils rappellent que :
* pour un effet principal donné, quelque soit le schéma de causalité (et donc les causes), l'acteur de la cause précédent immédiatement l'effet principal en reste entièrement responsable et assume (ce qui est différent d'être responsable) donc de ce fait les effets secondaires,
* le sujet du débat est l'effet principal et pas l'effet secondaire, qui lui découle d'un autre schéma de causalité et donc de responsabilité,
* les émotions et la rationalité font mauvais ménage (mais çà on le savait depuis l'antiquité).

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