Recension – Laurent Obertone – Guérilla
Un ami m’a récemment prêté le dernier opus de Laurent Obertone, Guérilla. J’ignorais tout de cet auteur jusqu’à la lecture de livre, qui mérite que j’en rende compte. Ce roman décrit une guerre civile qui pourrait se déclencher en cas d’émeutes dans les banlieues. Il décrit soigneusement nombre d’atrocités et se focalise sur les tentatives de certains d’établir un califat islamique en France.
Je vais donc tenter l’exercice de structurer les pensées qui m’ont été inspirées par cette lecture en commençant par la forme. Disons-le tout de suite, d’un point de vue littéraire, ce n’est pas bon. On sent assez bien l’influence de Stephen King, et en particulier de la lecture du « Fléau ». On retrouve le même type de structure en chapitres qui passent d’un aspect du sujet à un autre et d’un personnage à un autre. Mais le style reste indigent, le récit bien que commençant avec un rythme prenant, s’essouffle assez rapidement au lieu de monter en puissance. L’auteur peine à créer un fil conducteur qui permettrait de voir le destin des personnages se fondre dans un récit global. Le roman reste donc fragmenté en une juxtaposition d’histoires (de chapitres) trop brèves et qui ne sortent pas de l’anecdote. Le style de l’écriture se caractérise par des phrases au rythme relativement rapide, ponctuées par des effets de styles et des formules généralement assez pauvres : une sorte de succession de « petites phrases » dont les journalistes et les politiques sont friands. Les courts chapitres sont tous précédés d’une citation dont on ne sait si leur objet est de positionner l’auteur comme un pair des personnes citées ou plus simplement d’annoncer le propos du chapitre.
Laurent Obertone base la description des personnages qu’il présente négativement sur la caricature. La première est réussie. Les suivantes sont par trop forcées, et l’exercice, comme le livre, s’essouffle par la suite. C’est dommage, car cela finit par ne plus rendre les personnages crédibles.
Intéressons-nous maintenant au fond, c’est-à-dire au contenu, en commençant par l’explicite, puis en tentant ensuite de déterminer la part d’implicite. L’objet de ce roman est de présenter sous forme de fiction la vision de l’auteur de ce que l’avenir peut nous préparer. Il s’agit donc de politique-fiction ou d’une fiction sociologique. Laurent Obertone nous présente une galerie de portraits dont on ne sait si la sélection résulte d’une analyse sociologique du type d’un travail scientifique universitaire (oui, je suis d’accord la sociologie est une science humaine très molle, mais ceci n’empêche qu’il y a des gens qui travaillent avec des méthodes rigoureuses), ou de son propre ressenti de l’état de notre société. Je reviendrai plus loin sur cet aspect.
Les personnages choisis par l’auteur forment une mosaïque représentant quelques aspects saillants de notre société. La blogueuse bo-bo, droit-de-l’hommiste et nombriliste est probablement le plus réussi. Il est le plus réussi, car il est le moins caricatural. Le clone de BHL et le portrait de l’homme de médias sont déjà plus forcés. Les individus ne se réduisent pas à leurs actes et encore moins au rôle qu’ils ont choisi de tenir dans le grand théâtre des médias. Les personnages ne sont malheureusement pas exprimés dans leur complexité. Leur portrait reste superficiel et cela nuit à la portée du texte. Tous ces personnages n’ont que des caractéristiques que l’on perçoit comme des défauts, et les rares qualités que l’auteur leur accorde du bout des lèvres sont au service de leur monstruosité, de leur perversité ou de leur inanité. Laurent Obertone présente donc ainsi toute une série de personnages dont on comprend immédiatement qu’il ne les aime pas, et je reste dans la litote. On va donc croiser successivement au gré des chapitres, Le philosophe/sociologue justifiant tous les comportements les plus inacceptables par la société par la nature même de la société, les ZADistes, les militants en salon de l’extrême gauche, les identitaires de salon également, les retraités qui ont travaillé toute leur vie et finissent poivrots d’extrême droite, les voyous et caïds des quartiers défavorisés, tous arabes ou noirs, quelques asiatiques forcément mafieux, des journalistes incapables du moindre jugement et totalement autocensurés, des hommes politiques incapables et paralysés, des féministes, des homosexuels. Comme Laurent Obertone n’a pas le talent de Stephen King, il croise les caractéristiques de ses personnages (extrême gauche et homosexuel). Pour faire simple, la société française se résume, selon l’auteur à des vrais très méchants, tous Arabes, noirs, musulmans et violeurs, des intellectuels de gauche et des hommes politiques qui portent la responsabilité intégrale de tous les problèmes sociaux que nous pouvons connaître et le vivent avec un cynisme sans bornes, et le reste de la population qui n’est constituée que de moutons inertes, dont le jugement est abruti par les médias. On y trouve également quelques individus plus reluisants, mais dont l’apport au roman est si négligeable qu’on ne comprenne pas les raisons de leur présence. Est-ce que cela serait pour essayer de contrebalancer la nature totalement négative des personnages ? Est-ce pour meubler et faire un peu de volume ? J’estime néanmoins que Laurent Obertone met judicieusement et justement le point sur des aspects de notre société qui posent un réel problème. Je listerais la perte du respect de l’autorité quelle qu’elle soit, l’absence de hiérarchisation des problèmes ou des questions sociales, le déni de certains aspects.
Ce qui frappe ensuite dans cette galerie de portraits, ce sont les absents. L’extrême gauche, la vraie, bien organisée, qui ne s’aventure pas avec les ZADistes, qui possède un corpus idéologique solide et passerait certainement à l’action dans ces circonstances, est absente ; et il est difficile de dire qu’elle serait son attitude vis-à-vis de mafieux religieux. De la même façon, l’extrême droite structurée, celle qui ne passe pas sa vie au bistrot ou dans son salon, n’est pas représentée. Le roman n’évoque même pas la possibilité que ce soit elle qui déclenche les hostilités. L’auteur prétendant pourtant être bien informé, il devrait savoir que c’est maintenant une crainte majeure des services de sécurité. On ne voit pas dans ce portrait social tout ce qui peut être métissé, la part des Français d’origine immigrée dans les couches aisées de la population, les plus jeunes qui en dehors des quartiers difficiles se mélangent sans aucun a priori. Bref, malgré sa description des transports en commun, Laurent Obertone ne doit pas prendre souvent le RER B, ou ne doit voir que ce qu’il veut bien voir.
L’auteur ne présente aucune argumentation, ne tire pas de conclusions, n’analyse pas de relations de cause(s) à effet(s). C’est bien là sa plus grande force et sa perversité. Il procède par juxtapositions générant des associations qui se transforment, si l’on n’y prend pas garde, en relations de cause à effet. C’est un biais cognitif bien connu. Utilisé à dessein, cela se nomme de la manipulation. Je vais tenter de faire la liste de tous les biais cognitifs que l’on peut trouver dans le livre, soit que l’auteur les subisse, soit qu’il les utilise pour servir son propos. Ces choses-là sont parfaitement théorisées et classées. Il en existe 52 …
Catégorie « appel aux émotions » :
- Appel à la peur
- Appel à la nature
- Appel à la pitié
- Appel au ridicule
Catégorie « appel à la raison » :
- Appel à la pratique commune
- Appel à l’ignorance
- Appel à la probabilité
- Appel à la tradition
Catégorie « mauvaise déduction » :
- Preuve anecdotique
- Composition / extrapolation abusive
- Division
- Sauter sur la conclusion
- Fausse relation
Catégorie « manipulation du contenu » :
- Non prise en compte des contradictions
- Utiliser des échantillons non représentatifs
- Biais de confirmation
- Réalisme trompeur
- Pente glissante
- Effacement de preuves
Catégorie « relation de cause à effet confuse » :
- Cum hoc ergo propter hoc (confusion corrélation et cause)
- Déni de l’antécédent
- Oubli des causes communes
- Post hoc ergo propter hoc (confusion succession et cause)
- Deux erreurs font une vérité
Catégorie « attaque » :
- Ad hominem
- Charge de la preuve
- Fausseté génétique
- Discrédit par association
- Caricature
Soit 29 techniques que l’on pourrait illustrer toutes une par une par des exemples tirés du livre. Pour ceux qui souhaitent aller plus ou mieux comprendre ces biais cognitifs, voici un site intéressant sur le sujet : http://www.informationisbeautiful.net/visualizations/rhetological-fallacies/.
On sort de la lecture de l’ouvrage avec la conviction qu’une guerre civile va se déclencher dans laquelle on subira toutes les atrocités classiques de ce type de situation et que ce sera exclusivement la faute des hommes politiques, des gauchistes, des féministes et des journalistes qui ont ouvert la voie aux homosexuels, aux migrants et aux islamistes et que cela ne serait pas arrivé si on n’avait refoulé ou mis au pas tout ce beau monde.
L’action est décousue. S’il y a unité de temps, il n’y a pas unité de lieu (ce qui n’est nullement un problème, ni unité d’action. Ce dernier point me semble un reflet assez fidèle de ce qui pourrait arriver avec des groupes violents (ou pas) poursuivant des agendas indépendants et non coordonnés. Mais du point de vue du lecteur, le livre s’achève en queue de poisson ans aucune conclusion ni du point de vue d’un message, ni du point de vue dramatique ou du récit. Cela laisse à penser que l’auteur lui-même ne sait pas trop comment aller plus loin.
J’aborde maintenant l’implicite ; ce que je ressens, ou que je comprends à la lecture du texte soit du fait du choix du vocabulaire, soit du fait des idées sous-jacentes ou qui émergent tant de la syntaxe que des associations créées par Laurent Obertone. Ce livre est un torrent de haine ; de haine des femmes, des féministes, des écologistes, des hommes politiques, des journalistes, des intellectuels, des gauchistes, des ZADistes, des Arabes, des noirs, de la hiérarchie de la police et de l’armée, des homosexuels, des riches et j’en passe. Les seuls êtres qui trouvent grâce aux yeux de l’auteur sont les policiers de base et quelques militaires désobéissant aux ordres. Il transpire une nostalgie de l’influence du catholicisme dans la société. Celui qui pourrait s’apparenter à un héros est un homme d’extrême droite qui sait sa cause perdue, mais ce n’est pas de sa faute ni du fait de sa cause. Donc tout ce qui ne va pas est de la faute des autres, et le ventre mou de la société ne mérite pas d’être sauvé : ce n’est pas écrit, mais bon, untermensch…
Ceci étant posé, je m’interroge sur les intentions de l’auteur. S’il s’agit de produire de la littérature, il y a des fois où il vaut mieux savoir s’abstenir. S’il s’agit d’identifier des aspects de la société qui posent un problème, comme je l’évoque plus haut, c’est plutôt réussi. S’il s’agit d’en tirer des conclusions, c’est totalement raté. S’il s’agit de présenter une opinion étayée par un raisonnement, nous sommes carrément dans de la manipulation des esprits. S’il s’agit de faire peur, c’est une réussite. S’il s’agit de pousser des gens dans une certaine direction, il est fort possible que cela fonctionne plutôt bien, surtout auprès de gens possédant déjà un penchant dans cette direction (biais de confirmation + biais d’autorité). Sur ce dernier point, il se dit sur les sites d’extrême droite qui font actuellement l’éloge du roman, -le reste du WEB en parlant peu ou pas-, que l’auteur à d’excellents contacts dans les services de sécurité. Ceci me semble sujet à caution. Il n’y a besoin d’aucune information particulière pour imaginer le contenu du roman. Les aspects manquants dans le récit de ce début de guerre civile laissent penser que si l’auteur a trouvé de la matière pour son livre dans des conversations avec des policiers de tous niveaux hiérarchiques, il n’en a gardé que ce qui convenait pour son propos. L’association que l’on fait naturellement entre « l’auteur a des relations haut placées dans la police » et « l’auteur raconte la société française » induit la conclusion que « ce que raconte le roman est ce que pense la police ». Ce raisonnement est donc totalement fallacieux.
Et maintenant, qu’en retenir ? Que faire ? Qu’il faut commencer par combattre toutes les fausses conclusions que les lecteurs de cet ouvrage ne manqueront pas d’en tirer, sachant qu’il faut dix fois plus d’efforts pour détruire une idée fausse que pour la créer. Rappeler que la vraie première cause de tous les problèmes que connaissent les sociétés occidentales (mais les autres suivent de près) est tout simplement la fin de la croissance. Donnez toujours plus d’argent et de perspectives aux gens, et, en dehors de quelques rares idéologues purs et durs, ils n’auront aucun problème à se mélanger. Qu’il faut rappeler que les réseaux sociaux et les moteurs de recherche favorisent le repli sur ses idées et les gens qui sont comme nous. Je voulais récemment supprimer de mes relations Facebook, une personne déversant à longueur de post le même contenu que ce livre puis je me suis ravisé. Si je ne le vois plus tous les jours, je ne sais plus que cela existe, je ne sais plus comment il fonctionne, je ne connais plus ses préoccupations et je finis par avoir une vision biaisée de mon entourage avec des gens qui ne sont que comme moi et le reste qui nécessairement est déviant sous une forme ou une autre.
Le livre m’a marqué par la violence de sa manipulation, et non pas par la violence physique crue de ce qu’il décrit. Qu’en temps de guerre civile, les gens s’entrégorgent le plus cruellement possible et que les femmes se fassent violer n’est malheureusement qu’une normalité que tout le monde a tendance à oublier. Les pacifistes sont utiles avant les guerres pour les éviter. Ensuite, ils deviennent malheureusement bons pour le grand abattoir du conflit, n’ayant aucune culture de la violence leur permettant à minima de se défendre. J’ai quand même passé une demi-nuit blanche avec cette affaire. J’en retiens la citation de La Rochefoucauld : « Nul ne peut être loué de bonté, s’il n’a la force d’être méchant. ». Je n’y avais jamais réfléchi. Heureusement, notre société compte encore une majorité de gens bons, d’où qu’ils soient et quelle que soit leur origine sociale ou ethnique, et pas que à gauche. Malheureusement beaucoup sont aussi devenus très cons, et pas mal à gauche, mais pas tous, évidemment. J'y rajoute une maxime : « le pire est toujours à venir ». Comme je suis pragmatique et essaye d'être en phase avec mes valeurs, j’ai offert d’héberger des réfugiés ET je me suis inscrit au club de tir du quartier (et mes enfants auront une formation au tir pour tuer). En effet, le problème n’est pas qu’un monde s’effondre et qu’un autre, dont on ne sait rien, naisse, c’est simplement la gestion de la transition qui est délicate …