Expert safety
Il est assez rare que j'écrive sur mon travail. Mais c'est vrai que c'est souvent ça. En étant dans le rôle de l'expert...
Il est assez rare que j'écrive sur mon travail. Mais c'est vrai que c'est souvent ça. En étant dans le rôle de l'expert...
que je souhaitais faire depuis longtemps. La courbe des revenus (en France) est comme ci-dessous.
Qu'est ce que cela donne si tout le monde gagne pareil : 24 284 € par personne et par an. 31,7 millions de personnes gagneraient plus et 18,6 millions moins. Ce n'est pas 500 ou mille ultrariches qu'il faut convaincre, c'est donc 18,6 millions. C'est pas gagné, mais qui ne tente rien n'a rien...
Si en plus, convaincus qu'il est anormal que nous soyons favorisés, nous décidions de faire la même chose au niveau mondial, le revenu deviendrait 14 166 € par personne et par an, 18,1 millions de personnes gagneraient plus et 32,2 millions gagneraient moins.. Je ne suis pas sûr que ce soit vendable à la population.
Et comme le gâteau n'augmentera pas de manière significative, soit il va falloir accepter la perpétuation des inégalités, soit il va falloir que beaucoup (et pas quelques uns) acceptent de voir leur revenu diminuer.
Quand Bush disait que le niveau de vie des américains n'était pas négociable, on pourrait dire probablement la même chose des français. On peut vendre l'espoir d'une amélioration de sa situation mais je pense qu'on ne peut pas vendre la certitude d'une dégradation de sa situation (d'où probablement, et en partie, le score d'Eva Joly).
Un truc qui m'épuise, c'est les gens qui confondent lutte contre les injustices et principe de réalité.
Certes les inégalités en riches et pauvres sont moralement indéfendables, terribles, trop importantes, absurdes, etc... Dit autrement, le gâteau mondial est foutrement mal partagé. Il y en a qui ont une part ridicule et il y en a qui ne savent pas quoi faire de la leur. Donc, on se révolte, on post, on like, on épouse les causes, on signe chez change.org. Tout ceci est fort justifié, légitime et pertinent. Efficace, je ne sais pas, mais de toute façon il n'y a rien de pire que de ne rien dire.
Vient ensuite le moment de revenir au principe de réalité et discuter du partage du gâteau. Si on le partage également (je n'ai pas mis équitablement à dessein), on s'aperçoit que tout le monde est d'accord à condition que sa part ne diminue pas.
C'est à ce moment que cela tourne au vinaigre dans les dîners mondains ou sur Facebook. En effet, le PIB mondial est de l'ordre 101 000 Mds de dollars. Je vous laisse faire la division par 6 ou 7 milliards de personnes, ou par 9 milliards pour se projeter dans un futur très proche. Ça donne entre 14 et 17 000 dollars par an de nos jours et de l'ordre de 11 000 dollars dans 25 ans. La moyenne française étant à 43 000, cela signifie que même le smicards va devoir baisser ses revenus. A ce stade, hurlements, cris d’orfraie et levée de bouclier. Hors de question de baisser le niveau de vie de nos pauvres. Bon, dont acte.
Là vous avez sérieusement refroidi l'atmosphère du dîner, si on vous a laissé parler.
Il faudrait donc augmenter le PIB mondial pour que tout le monde ait le niveau de vie de .... aller, un français moyen. Donc le multiplier par presque 4. Pas de chance, cela signifie multiplier par 4 la consommation de ressources naturelles, de production d'énergie (forcément largement nucléaire pour des quantités pareilles, si on veut décarboner en même temps), toutes choses qui ne couchent pas bien avec les amateurs de paniers AMAP autour de la table.
Vous venez de franchir le point Godwin du politiquement correct. La discussion n'est plus de savoir si les nombres avancés sont bons, si on ne pourrait pas trouver une alternative, si le fait qu'il est des perdants et des gagnants dans la vie est intrinsèquement le fait de l'homme ou le fait de la société. Non, ce qui est gravissime, c'est que vous cassez l'espoir, que vous devriez rêver d'un monde meilleur pour vos enfants. Bref, il ne faut pas désespérer Billancourt.
Ben moi, le monde pour mes enfants, je ne le rêve pas, j'essaye de le construire. Parce que ceux qui refusent les problèmes, qui ne se rendent pas compte que ce que notre génération a vécu, et vit encore, n'est qu'une parenthèse heureuse, rêvent le monde futur et ne font que le rêver. Ils ne construiront jamais rien en partant sur un mauvais état des lieux. Comme disait BSP, ne pas voir un problème ne le fait pas disparaître.
Telle est bien la question après bientôt 35 ans de vie professionnelle. Résumons. D'abord des études pour devenir officier, dans lesquelles on apprend, entre autres, à tirer à la mitrailleuse, au lance-roquettes, comment rôtir un équipage de char dans sa cocotte minute, tuer les autres sans se faire tuer, à mains nues, comme avec divers accessoires, en fonction de ce qui vous tombe sous la main. Ensuite mise en application dans une unité de drones. A l'époque, il s'agit de repérer avec une espèce de saucisse volant à 700 km/h des concentrations de chars soviétiques pour leur balancer dans les 40 minutes qui suivent un petit missile équipé d'une charge nucléaire de 15 kT, histoire de leur expliquer qu'ils feraient mieux de rentrer chez eux.
Mauvais choix. A ce stade, je suis déjà un tueur assoiffé de sang, nervi du lobby militaro-industriel, forcément pas franchement communiste, puisque c'est quand même l'ennemi, et donc moi-même ennemi du peuple.
Ensuite, direction de projets pour l'industrie pétrolière (beurk), les centrales électriques, à l'époque à charbon (re-beurk), et la chimie lourde.
Re mauvais choix, car bien évidemment je soutiens la corruption en Afrique, la junte birmane, les marées noires et les fabricants de cancer.
Changement d'orientation pour la chimie fine, les engrais et la pharmacie. Mes clients : Sanofi, GSK, Servier (oui, le même), Monsanto, Bayer, BASF... J'arrête là, vous allez vous couper les veines.
Là, c'est clair, j'aggrave mon cas. Je suis passé d'un truc du genre idiot utile, à complice de l'exploitation de la planète et de l'empoisonnement des masses. Probablement dans un sursaut de lucidité éthique, je passe dans l'industrie automobile.
Certes, je pollue moins, MAIS je participe de la société de consommation aliénante en endettant les classes laborieuses en les obligeant à acheter des voitures qu'on leur fait désirer le plus cher possible. Sans compter que j'installe des robots pour que les ouvriers n'aient pas à manipuler des trucs lourds (sauf en Roumanie, où l'ouvrier est moins cher). Ça supprime des emplois. Me voilà suppôt du patronat. La pente est de plus en plus glissante et probablement impossible à remonter.
Qu'à cela ne tienne, je passe dans les aéroports (profil bas vu ramdam à NDDL) et dans la grande distribution (Libérez les caissières, merci Nad), pour automatiser tout ça.
Et pour finir, je reviens à mes premières amours (on ne m'enlèvera pas le sens de la cohérence). Donc des chars, des drones, des morceaux de frégates, de sous-marins, j'en passe et des meilleures.
Donc je supporte les pires dictatures et épouse sans états d'âme, bien évidemment, les idéologies les plus nauséabondes (pas LMPT quand même, faut pas déconner !).
Et en plus j'aime ça ! A ce stade ça a du devenir névrotique. Ben oui, je m'éclate avec mon métier, et j'y rencontre des gens formidables dans tous les coins du monde. Évidemment, il y a des gens que cela dérange et je peux le comprendre, mais bon j'assume.
Bon, je vous en laisse une petite pour la route.
Avec la flûte enchantée de 1987 (pour l'anecdote, achetée pas cher d'occasion chez un disquaire de Toronto). La version la plus travaillée que je connaisse. C'est comme un gigantesque ensemble sans une seule faille.