Au delà du feuilleton sur les échanges patrimoniaux de Pythagore et de Crocus et dans la foulée de l'article sur le 7Q (
Êtes-vous
"black belt" en 7Q ? ), je souhaite vous faire partager mon esbaudissement devant nos investissements dans le "Lean Sigma".
Une petite précision préalable pour mes lecteurs (nombreux) qui ne nagent pas au quotidien dans l'obsession (pas toujours négative) de la course au rendement.
Le "Lean Sigma" est la synhèse de deux méthodes d'optimisation de la production et de l'organisation :
* Le "
Six Sigma" : désignant une méthodologie structurée de management visant à une amélioration de la qualité et de l'efficacité
des processus. La méthode Six Sigma a d’abord été appliquée à des procédés industriels avant d’être élargie à tous types de processus, notamment administratifs, logistiques, commerciaux et
d'économie d'énergie.
* Le "
Lean Manufacturing" : qu'on appelle la fabrication « au plus juste » (ou encore « sans gaspi »). Les
pièces détachées sont approvisionnées au bon endroit, au bon moment, et en quantité suffisante, sans gaspillage. Seule la production répondant à une demande précise sort de la chaîne de
fabrication. Cette méthode est à l'opposé du système antérieur de fabrication qui prévoyait des stocks de pièces importants, indépendamment de la demande réelle.
En statistiques, la lettre grecque sigma σ désigne l'écart type ; « Six Sigma » signifie donc « six fois l'écart type ». L'écart type pouvant être assimilé à la
dispersion d'un processus, on parle aussi d'étendue comme paramètre de dispersion : l'étendue est la différence entre la valeur maxi et la valeur mini d'un échantillon. L'écart type est
également l'écart moyen de chaque valeur par rapport à la moyenne.
Le principe de la méthode consiste à faire en sorte que tous éléments issus du processus étudié, soient compris dans un intervalle s'éloignant au maximum de 3 sigma par rapport à la moyenne
générale des éléments issus de ce processus. En réduisant la variabilité des produits du processus, on réduit le risque de voir le produit (ou service) rejeté par son destinataire car en dehors
de ses attentes ou spécifications. Le principe vise donc à travailler sur le processus afin que seuls des produits conformes aux exigences soient livrés.
Toute le monde fait maintenant du Lean Sigma en faisant appel à force consultants, "champions", "sponsors", "black belts", "green belts" et autres "master black belts". Chez Crocus, d'aucuns
s'interrogent fort justement :
* sur les bénéfices en regard des investissements nécessaires (du niveau de 3000 heures de travail pour résoudre un problème concret comme le temps de réaction pour les réparations des
équipements des clients),
* la priorité de cette démarche par rapport aux tâches en cours (pendant qu'on cogite, on ne répare pas ...)
Il est en revanche beaucoup étonnant que dans une entreprise comme Crocus, qui possède une entité "Crocus conseil" et qui valorise fort correctement ses "Experts", "Experts émérites" et autres
"seniors", personne ne se soit posé la question de l'applicabilité d'une démarche 6 Sigma aux problèmes à résoudre.
En effet, pour qu'il y ait 6 sigma, il faut qu'il y ait sigma, et pour qu'il y ait sigma il faut que le processus réponde à la loi de Gauss (la courbe en cloche pour les non initiés). Ce qui
signifie à minima que :
* les évènements étudiés soient indépendants (dans notre exemple les réparations ne doivent avoir aucun lien entre elles)
* la distribution des évènements doit respecter la loi de Gauss.
Les équipes se mettent en place, font un état des lieux (au travers duquel on peut constater que le processus est tout sauf gaussien) et se donnent des objectifs (qu'il suffit de lire pour voir
qu'ils sont tout sauf gaussiens) et tout le monde se met à limer sur un investissement de l'ordre de 150 000 € plus les émoluments des consultants (une paille qu'il faut plus de 80 aller et
retour en Asie du Sud-Est en éco au lieu de business pour financer). Personne n'a remarqué que l'on applique une méthode qui n'a rien à voir avec le problème. C'est comme mettre son capaccio au
four.
Il amusant de voir nos ingénieurs et nos managers (ingénieurs aussi) ne pas relever ces incohérences et exprimer le problème à résoudre avec la bonne vieille formule (beaucoup plus pertinente) du
80/20 qui représente pragmatiquement un phénomène non gaussien et beaucoup plus proche des théories de Benoit Mandelbrot dans lesquelles les aléas ne s’annulent pas, mais au contraire se
cumulent, et où la prédiction statistique classique ne fonctionne plus.
Conclusion : le manque de culture scientifique pollué par une vision complaisante et paresseuse de la réalité n'a pas fini de nous faire rigoler.