J'essaye de comprendre ...
Difficile de construire un semblant d'analyse de la situation sociale sans être réducteur. Je vais quand même tâcher d'en décortiquer un aspect.
Dans les années 75 - 85, que j'ai vécues comme étudiant, la politique, la philosophie politique, la sociologie, étaient l'objet de discussions animées et consommait une part plus qu'importante de nos capacités de raisonnement jusqu'à des heures avancées de la nuit, parfois assez correctement imbibées pour mieux raisonner. Ceci dans une opposition que rétrospectivement je qualifierais de gauche / pas gauche. Les discussions, surtout chez nos camarades "de gauche", c'est à dire à l'époque au minimum minimorum communistes, étaient assises sur une réelle culture, des lectures, de la réflexion, et pour les plus engagés d'entre-eux, de la formation. Il n'était pas facile de les contre-dire car ils disposaient d'un arsenal argumentaire complet pour venir à bout de n'importe quelle critique. Nous n'avions à l'époque pas de problèmes pour discerner les staliniens des trotskystes, les anarchistes des maoïstes, etc... ce que nous prenions pour des nuances était évidemment pour eux des fondamentaux.
La théorie s'appuyait alors sur la pratique à travers l'histoire récente et les actualités : révolution culturelle, Soljenitsyne, khmers rouges, Prague, Budapest, Pinochet, bande à Baader, Armée Rouge japonaise, brigades rouges, action directe, invasion de l'Afhanisatn, révolution iranienne, etc...
Les plus radicaux n'étant pas dans la pratique, mais la soutenant ouvertement avec un discours parfaitement construit.
La théorie était bâtie sur les travaux d'intellectuels brillants issus de générations successives : Jean-Paul Sarte, Louis Althusser, Guy Debord, Luc Boltanski, certains totalement engagés et couvrant un spectre très large, d'autres focalisés sur des domaines très précis mais apportant des idées contribuant à la construction de l'édifice idéologique.
La lente érosion de la classe ouvrière, associée à l'augmentation du niveau de vie et à la chute de l'URSS a progressivement détourné les sujets d'intérêt et de discussion. On pourrait dire, aujourd'hui, tout le monde s'en fout de ces coupages de cheveux en quatre. L'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a aussi du précipiter l'affaire, le pouvoir étant conquis ...
On en arrive à oublier que, pour une frange d'étudiants, beaucoup réduite en nombre, voire marginale, ces sujets restent pleinement d'actualité et un objet de réflexion. Comme ils gavent probablement leurs camarades dans les soirées, ces discussions, au lieu d'être la thématique principale, devient un sujet pour des cercles restreint d'initiés et on tendance à disparaître de la visibilité de tout un chacun.
On en arrive donc à oublier qu'il existe une troisième génération de la RAF, qui doit aujourd'hui avoir entre 45 et 65 ans, qui n'a jamais été arrêtée et qui vit dans la clandestinité en Allemagne. Elle était encore active dans les années 2000.
La malheureuse affaire de Tarnac a très brièvement fait remonter certains aspects de l'underground de l'extrême gauche, mais sans réellement susciter d'intérêt. Cette extrême gauche, la vraie, pas celle de Jean-Luc Mélenchon, a pourtant toujours été présente et légèrement visible. Elle est toujours constituée de réels intellectuels : Julien Coupat, pour commencer, parce que mis sous les projecteurs, Eric Hazan, Hugues Jallon, Pierre Alféri, Serge Quadruppani, Luc Boltanski bien sûr, auxquels s'agglomèrent à plus ou moins grande distance des gens qui sont plus motivés par la pratique que par la théorie, qu'ils ont néanmoins parfaitement assimilée.
De ce point de vue, il est totalement faux, et irresponsable, de qualifier les "casseurs" de casseurs. Ce ne sont pas des voleurs qui viennent vider les magasins comme dans les années 70/80. Ce ne sont pas des excités qui démolissent tout ce qui est sur leur passage (à quelques exceptions près, mais il s'agit plutôt de feux de poubelles et de réverbères renversés). Non, il s'agit bien de militants, politiques, appliquant leur programme selon des méthodes définies qui ne doivent rien au hasard. Leurs cibles correspondent à celles prévues, et si Gattaz n'a pas encore une oreille coupée, c'est que l'occasion n'a pas du se présenter. Je vous joins le texte de "l'insurrection qui vient", qui plus est fort bien écrit, même si le langage fleure bon les sixties et les seventies...
Il est donc absurde, et injuste, de les réduire à des casseurs. au delà des réponses judiciaires, la réponse devrait être sur le terrain de l'idéologie politique. Nos gouvernants, et leurs opposants, pourtant pas si jeunes, sont bien nuls sur le sujet.
Par ailleurs, il est intéressant de voir la proximité des ces groupes avec l'écologie politique radicale qui s'exprime fréquemment comme dans la vidéo ci-jointe (à partir de 10:30). Il est intéressant de voir comment dans une formation comme EELV, à force de vouloir promouvoir toute forme d'expression sans exclusion, on peut se retrouver à créer des grands écarts intenables. Il est intéressant de voir aussi que ce genre de discours ne soulève aucun débat contradictoire interne. Mais cette analyse sort de mon propos d'aujourd'hui.
La rencontre entre le discours ré-émergent de l'extrême gauche et la désespérance ambiante se matérialise dans les réseaux sociaux par une "libération" de la parole qui n'a rien envier à ce qui a pu être observé chez la droite "décomplexée" sur d'autre sujets. On se retrouve avec des jeunes filles qui veulent "pendre" des patrons sous le pont d'Avignon, des amis aux pacifisme indiscutable qui estiment que les policiers "n'étaient pas la bonne cible", légitimant ainsi la violence.
Bref, tout ceci est très intéressant, et tant que l'on continuera de laisser croire à la population que demain sera meilleur qu'hier (selon les critères d'aujourd'hui), comme ce n'est pas ce qui va se produire, cela va empirer, désespoir aidant. Nos gouvernants orientent les espoirs de la population sur des chimères (croissance, pas de réduction - sérieuse- des dépenses publiques, maintien du niveau de service, etc...). C'est criminel vis-à-vis des gens qui les croient et sont déçus comme de ceux qui ne les croient pas mais seront victimes des dégâts collatéraux.
Si je voulais tenter un discours, ce serait : le SMIC va sauter, le travail sera partagé, les vacances se passeront à la maison, la voiture sera une sans permis mais on va se retrousser les manches pour sauver la santé et l'éducation et régler le problème de l'habitat, et pour ça on a besoin de tout le monde. Mais on va encore me dire que je suis un horrible cynique et que je casse les rêves...